Archive for December 2011

LE RETOUR A LA SOURCE, CHAPITRES HUIT ET NEUF   1 comment

SEPT
Dès le lendemain, je prenais possession du canapé que j’avais donné en cadeau à ma mère lors d’un de mes nombreux séjours. Fort heureusement, j’avais pensé à changer ses meubles, une table et quatre chaises pour les repas, un « love seat » tout neuf, un lit d’une place pour le salon.
J’appréciais même les « soap opéras » que d’habitude je ne regardais pas. En Haïti, n’ayant l’électricité que quelques heures par jour, j’avais cessé de regarder la télévision. Ma mère allumait l’appareil à midi pile pour prendre des nouvelles et ensuite regarder ses feuilletons quotidiens préférés. Les mêmes depuis une vingtaine d’années. Elle connaissait tous les caractères et les histoires des personnages par cœur malgré son anglais rudimentaire.
Comme je venais d’arriver, je prenais plaisir à son passe-temps favori. Je me disais que le temps était plus facile à passer à New York qu’à Port-au-Prince. Je me disais que si je devais passer le reste de ma vie à ne rien faire, ce serait mieux ici, vautrée dans un love seat. D’ailleurs, j’avais de la compagnie pendant la journée, celle de ma mère ; en Haïti, mon mari qui lui non plus ne travaillait pas sortait à neuf heures du matin pour trouver à quoi s’occuper. Sans doute faisait-il – encore – de la politique. Comment espérait-il sous le règne de Lavalas, s’en sortir et reparaître à nouveau, alors qu’il avait été Secrétaire d’Etat à la Jeunesse et au Sport sous le gouvernement de Marc Bazin ?

Je le voyais s’activer à la tête d’un petit groupe de jeunes…
HUIT
Ma première identité, celle par laquelle je sentais un mieux être par rapport à ma situation en Haïti, était celle de ‘couch potato’, correspondant à un style de vie sédentaire et végétatif. M’identifiant un peu à ma mère, quoiqu’elle fût beaucoup plus âgée, j’étais devenue un légume qui passait sa vie étendue sur son sofa. Et je m’en réjouissais. Je regardais aussi le show d’Oprah Winfrey qui passait de 4 heures à 5 heures. Il faut dire qu’il était plus animé que les soaps. Ensuite comme ma mère fermait la télé pour un moment, je prenais ma douche, m’habillais et me rendais chez ma sœur qui habitait à quelques blocs de là.

Là, il y avait un peu plus d’activités et un peu plus de gestes qui ressemblaient à ce que j’avais auparavant été, comme de discuter avec mon beau-frère de la politique haïtienne, de faire la cuisine, d’aller acheter des provisions au supermarché. Moi aussi, en dépit des nuits sans sommeil, j’étais lucide. Avec mon beau-frère donc je discutais de choses et d’autres :
– « Il semblerait que René Préval n’aurait pas accepté que Gérard Pierre-Charles, le Secrétaire-Général de l’Organisation Populaire Lavalas (OPL), devienne le Premier Ministre du Gouvernement. Il lui aurait préféré Rosny Smart de la même organisation qui a l’avantage d’être un homme plus ouvert tout en étant proche des ti legliz.»
– « Chavannes Jean-Baptiste, le leader du Mouvement Paysan de Papaye est devenu le chef de Cabinet de Préval. »
Et moi de répondre :
– Je connais Rosny Smart. J’allais souvent chez lui quand nous habitions La Boule chez les parents de mon mari. Je n’avais aucune idée qu’il était si impliqué dans la politique…

– Je connais aussi Chavannes Jean-Baptiste. J’avais été dans le Plateau Central pour y évaluer son Programme d’Education financé par la Caritas. J’avais écrit un rapport disant qu’il faisait un bon travail dans le domaine de l’éducation. Je n’avais pas idée qu’il était impliqué dans la politique au point de devenir Chef de Cabinet du Président de la République. »

Mon beau-frère qui se faisait le devoir d’acheter un numéro de l’hebdomadaire Haïti Observateur toutes les semaines, était au courant de l’actualité haïtienne et nous passions notre temps à la commenter :
« Rosny Smart a démissionné de son poste de Premier Ministre. »
«Préval a nommé Jacques Edouard Alexis, professeur à l’Université Quisqueya, pour être son Premier Ministre. »
« Jean Dominique a été abattu devant le local de radio Haïti-inter en même temps que son chauffeur Jean-Claude Louissaint. »
« Penses-tu que Jean Do, comme on l’appelait, se positionnait pour être candidat à la présidence ? Il serait dans ce cas en concurrence directe avec Aristide qui veut être président d’Haïti pour une deuxième fois. Il aurait de nombreux ennemis.»
Et le temps passait.

Posted December 31, 2011 by maryseroumain7 in Uncategorized

LE RETOUR A LA SOURCE, CHAPITRES CINQ A SEPT   Leave a comment

CINQ
La marche vers la liberté, disait Gandhi, n’est pas aisée
Elle traverse des terrains minés
Par la diplomatie et l’attentisme
Par le droit et la loi des plus forts
Parlons de liberté
Exorcisons les démons des assignations à résidence
Et des interdictions de parler en public
Parlons de liberté
Pour condamner la pauvreté qui écrase le peuple
(Jean Météllus, Voix Nègres, Voix Rebelles, Paris : Le Temps des Cerises, p. 125)

A l’aéroport Toussaint Louverture, je grimpai les marches menant à l’avion en partance pour New York sans tourner la tête en arrière vers ceux et celles que je laissais sur ma terre natale.
Lors de mes voyages antérieurs, je tournais toujours mon regard vers mon pays et mes compatriotes, au moment de monter dans l’avion, comme pour dire que je reviendrais, que nous avions perdu une bataille mais pas la guerre…
Dans l’avion, je reconnus un cadre d’un organisme international assis en première classe …
Cette fois, l’esprit embrumé, du fait de nombreuses nuits sans sommeil, je n’étais pas suffisamment en santé pour commander un verre de whisky.
SIX
Arrivée à l’aéroport Kennedy à New York quelques heures plus tard, ce fut comme toujours mon cousin qui vint me chercher.

Aussitôt la voiture engagée sur l’autoroute, il se mit comme d’habitude à parler de la situation d’Haïti comme s’il la connaissait mieux que moi. En fait, j’étais la seule de ma famille à retourner en Haïti après le départ de Jean-Claude Duvalier en 1986. Et, là, résidait en partie ma faiblesse, ma vulnérabilité, du fait que j’étais seule en Haïti, sans ma famille immédiate.
– « Haïti ne changera jamais. C’est un pays condamné, commença-t-il. Si quelqu’un s’investit émotionnellement en Haïti, c’est lui qui perd. Si Préval a gagné c’est grâce au support et à la complicité de l’international. D’ailleurs, on peut voir que les militaires et la bourgeoisie ont exilé les Lavalassiens et qu’ils ont été rapatriés avec 20,000 soldats pour les protéger et les imposer. C’est la preuve que les nationaux ne décident de rien. »
– « Les Américains n’ont pas voulu d’Aristide comme président. Mais il était populaire et menaçant. Ils n’ont pu rien contre lui. », répondais-je.
– « Tout le monde ou presque était lavalassien. Moi qui te parle, j’étais dans le camp d’Aristide. Il n’avait pas peur du « blanc ». Il l’a remis à sa place. Toute la famille était réunie à l’hôtel Adriana se donnant la main et chantant le slogan de Titid : « ansanm ansanm nou se lavalas. » Aristide voulait vraiment faire quelque chose pour Haïti et pour le peuple haïtien. »
– « Il n’avait pas de programme de gouvernement. Il n’a jamais dit ce qu’il allait faire pour le pays, pour la population. »
– « Aristid, se sa nèt. Il disait : fwon malfektè ipokrit ! il parlait de « twa woch dife » ; il proclamait : « analfabèt pa bèt. » Il a beaucoup changé depuis son exil. Ce n’est plus le même Jean-Bertrand Aristide que nous avons connu quand il disait aux militaires « rache manyok ou, bay tè a blanch »
De guerre lasse, je passai à autre chose. Je m’enquérais plutôt de l’état de santé de ma mère. Je fus soulagée d’apprendre que malgré ses quatre-vingt trois ans, elle avait toute sa lucidité et s’adonnait à une vie active.

Posted December 21, 2011 by maryseroumain7 in Uncategorized

LE RETOUR A LA SOURCE, ROMAN AUTOBIOGRAPHIQUE CHAPITRE DEUX   Leave a comment

DEUX
Je n’ai pas eu d’expérience directe mais un regard à distance, grâce à l’internet et à la radio, des trois dernières élections. Vidée de tout espoir pour la démocratie, j’avais laissé le pays peu avant l’élection de René Préval comme président pour la première fois ; pour visiter ma famille à New York et arrivée là, j’avais décidé en quelque sorte que je ne retournerais plus dans mon pays natal.

Il y avait dans ma décision beaucoup de désespoir et de sentiment d’impuissance. Car ayant fait le choix de vivre dans mon pays après beaucoup d’années d’exil volontaire forcé, je décidais de repartir à nouveau vers d’autres rives, vers une situation qui n’en était pas une mais que je jugeais plus vivables malgré ses inconvénients: je décidais de rester à New York, chez mes parents.
TROIS
Me voici donc chez ma mère, à Flushing, dans le Queens. Je suis bien décidée à y rester, en dépit du fait que mon mari était demeuré en Haïti. On pouvait se rendre compte que je m’étais installée sur le sofa du salon. Ma mère habitant dans un studio et occupant la chambre, je ne pouvais prétendre à mieux.
QUATRE
Située à 16 kilomètres à l’Est de Manhattan où elle est reliée par le pont Queensborough, le Midtown Tunnel, et le train numéro 7, Flushing est une des communautés les plus diverses de la ville de New York. Diversité qui est reflétée, entre autre, par les différents groupes ethniques qui habitent la zone.
Parmi ses premiers habitants, le fameux fermier du nom de John Bowne qui défia les autorités de son temps en permettant à un groupe de Quakers de tenir des réunions dans sa propre maison. A cette époque, en 1657, trente signataires de Flushing présentèrent une pétition connue sous le nom de Flushing Remonstrance, réclamant la liberté de religion pour tous. Ce document est considéré comme étant le précurseur de la section sur la liberté religieuse dans la Constitution américaine.

Flushing, lieu de naissance de la liberté de religion dans le nouveau monde, est devenue un modèle pour le pluralisme religieux en Amérique : plus de deux cent lieux de prière et de méditation dans une zone de 6.5 kilomètres carrés.

Quand je vins m’y installer en 1994 peu avant l’élection de René Preval comme président d’Haïti pour la première fois, déjà pluriel, le quartier était en pleine transformation, s’ouvrant aussi à la diversité des populations et des cultures, notamment des asiatiques, en grand nombre. Si bien que la zone est devenue la plus peuplée en Chinois et Coréens, après Chinatown. Des hispanophones, des Indiens, des Russes, des Pakistanais, des natifs du Moyen-Orient et une minorité de noirs dont une poignée d’Haïtiens y résident aussi.
A Flushing, je retrouvais ma famille qui y avait déménagé au début des années soixante-dix pour fuir Brooklyn où le quartier s’était dégradé. Les haïtiens préféraient la compagnie des « blancs » dont les zones étaient mieux maintenues, avaient de meilleurs services et de meilleures écoles et ils l’espéraient de bonnes fréquentations pour leurs enfants. Aussi déménageaient-ils, en masse, vers les quartiers de Long Island et de Queens.
C’est dans ce quartier de Queens que se déroule depuis 1996, c’est-à-dire depuis 15 ans, ma seconde vie en Diaspora. Il est vrai qu’il y a eu East Village aussi…On en reparlera plus tard.

Posted December 15, 2011 by maryseroumain7 in Uncategorized

Je me prépare à publier, sur mon blog, mon roman autobiographique…   Leave a comment

I. Dominance contemporaine de l’autobiographie
L’autobiographie représente de nos jours un genre littéraire dominant. Si l’on consulte les catalogues d’éditeurs ou si l’on parcourt les rayons de librairies, on s’aperçoit en effet qu’elle occupe, comme la littérature intime d’une manière générale (journaux, mémoires, témoignages, etc.), une place absolument centrale. Indépendamment même des écrivains qui ont produit des autobiographies proprement littéraires, et dont le nombre s’est prodigieusement accru au cours du 20ème siècle, que l’on pense à Sartre, à Sarraute, à Leiris ou à Michon, pour ne mentionner qu’eux, il n’est aujourd’hui aucune personnalité médiatiquement connue qui ne se sente tenue à nous faire part de son enfance et des événements qui ont marqué sa carrière, en publiant le récit de sa vie.

Posted December 7, 2011 by maryseroumain7 in Uncategorized