Archive for May 2011

L’INCENDIE A L’AVENUE DES CENDRES- SUITE ET FIN   1 comment

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A l’hôpital Jacobi, le docteur est enfin venu à deux heures du matin. Il examina mes pieds et me dit : « My name is Lu. Il s’agit d’une brulûre au second degré. Une greffe ne sera pas nécessaire ; ça guérira tout seul après environ deux semaines. »
De fait, deux jours après, on me renvoyait à la maison et de là, je partais pour Philadelphie chez ma sœur Marie.
Mon mari, qui était rentré à New York, pour passer quelques jours avec la famille, m’y rejoignit le dimanche suivant. Il a passé son temps à se promener autour de la piscine, dans la cour, en fumant et en réfléchissant. Il s’est fait faire des photos tout seul, posant, l’air sérieux, comme pour marquer le temps. A table, il appréciait les mets de ma sœur Marie qui, à défaut de « se mettre en quatre » pour nous recevoir, ne s’était pas néanmoins donné de la peine. Il a eu droit à du bœuf rôti et à des sardes roses cuites au four avec de l’oignon, des tomates et du persil. Il a bu aussi du bon vin offert exceptionnellement pour la circonstance.
Le vendredi suivant, nous sommes descendus nous promener au cœur de la ville en passant par le musée où avait eu lieu l’exposition de Salvador Dali que nous avons malheureusement ratée. Au restaurant belge, nous avons mangé des crêpes aux huitres et aux coquilles St Jaques et ensuite une crêpe au citron à nous trois comme dessert.
Non loin du faubourg où réside ma sœur, nous sommes allés au cinéma et nous avons vu « The Interpreter » avec Nicole Kidman et Sean Penn. C’est un suspense qui se déroule à l’ONU, à New York et où l’interprète de cette organisation se retrouve mêlée à un complot visant à assassiner le président africain du Motubo alors qu’il prenait la parole à l’Assemblée Générale. Quel Thriller ! Des enfants-soldats africains tirent à bout portant sur le journaliste venu enquêter sur les crimes du gouvernement avec de grosses mitrailleuses. Une bombe fait sauter un autobus dans un quartier de Brooklyn faisant d’énormes dégâts. The Interpreter, un film à voir.

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Il semble que ce soit un problème électrique qui ait provoqué l’incendie à l’Avenue Ash. Jusqu’à présent cependant, c’est-à-dire un mois après, le propriétaire ne nous a pas fait parvenir une note pour nous communiquer s’il s’était agi d’un accident ou si l’immeuble avait une défectuosité quelconque. Les locataires quant à eux n’ont tenu aucune réunion pour réfléchir ensemble et mettre à point une stratégie commune. Drôles de locataires !
Et pourtant les dommages sont importants car selon le rapport des pompiers, un gamin s’est cassé le bras en se faisant tomber du 4ème étage. Plusieurs personnes ont été conduites à l’hôpital pour avoir respiré de la fumée et, moi, je me suis brulée les pieds en descendant par l’escalier de secours.
Quant à l’immeuble il a subi pas mal de dommages lui aussi : le deuxième et le troisième étage en grande partie brûlés, nombre de portes forcées, des fils électriques exposés, partout l’odeur de fumée et une suie noire malodorante couvrant les murs.
J’ai rencontré ma voisine portoricaine Lisa en descendant par l’escalier. Elle n’y est pas allée par quatre chemins : la cause du feu est due à un problème électrique inhérent à l’immeuble.
« Mes enfants », me dit-elle, « sont traumatisés. Ils sont chez leur grand-mère en lieu sûr. Je me cherche un nouvel appartement. Il y a beaucoup de gens qui veulent s’en aller d’ici.»
Elle dramatise peut-être un peu…Mais, du coup, je m’émeus. Je n’entends plus habiter le 5b de la rue Ash.
Face à ma détermination, ma fille décide de venir à mon aide.
Elle et moi, nous avons toujours rêvé de pouvoir vivre ensemble dans un « brownstone » à Brooklyn. Nous habiterions chacune un étage…Il reste à convaincre son mari que c’est la bonne solution.
« On aménagerait des espaces-jardins dans la cour-arrière et sur le toit. »
« On pourrait avoir une piscine pour les gosses et on inviterait la famille et les amis à manger des mets cuits sur le gril accompagnés de cocktails de fruits.
Qui sait, ajouta-t-elle, on aurait peut-être des cheminées décoratives et plein de hautes fenêtres pour laisser rentrer la lumière du soleil. »
Et moi de lui dire, allant dans le même sens :
« En été, nous irions à des concerts à Prospect Park écouter Tabou Combo, Boukman Eksperyans ou même Lorraine Klassen, la chanteuse sud-africaine que j’allais voir à Montréal. Qui sait ? Tanya St Val, la chanteuse guadeloupéenne que j’aime beaucoup viendrait peut-être chanter le « zouk » !

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Début Juillet, deux mois après l’incendie, je suis dans mon nouvel appartement sur l’avenue Beech. J’y vis comme toujours avec mon fils. Ouf !
Ma fille et moi, nous prenons plaisir à le décorer. Nous avons trouvé un grand miroir antique avec un encadrement en bois sculpté que nous avons placé au-dessus du sofa-lit au salon. Nous avons aussi acheté des étagères pas chères où nous avons rangé des livres et quelques petits objets de décoration. J’ai accroché mon tableau de Manès Descollines, celui de Garibaldi et celui de mon ami Ray, peintre lui aussi. En plus, j’ai mis un collage de mon frère et un poster de Georgia O’Keefe. Il me reste à acheter les encadrements pour les photos de famille…
A mon nouveau travail à la bibliothèque du quartier, J’ai fait la connaissance de collègues : Jessica, Christina et Da Xin. J’avais déjà rencontré Mara ; c’est elle qui m’avait employée. Il y a aussi une Coréenne et une Portoricaine dont je ne connais pas encore les noms. Ce n’est pas bien payé, mais ce n’est pas du travail dur. Je peux même prendre un livre sur une étagère et lire un peu à mes heures libres, je pense. Mon département, c’est le Centre d’Apprentissage de l’Anglais comme Langue Seconde pour les Adultes. Apprendre une langue seconde, même s’il s’agit d’adultes, a quelque chose à voir avec la psychologie, le développement du langage et l’apprentissage. Je suis donc, avec mon diplôme en psychologie du développement, en territoire familier.
Depuis le temps que je travaille à la bibliothèque, je n’ai pas eu l’occasion de monter au troisième étage pour voir ce qu’ils ont comme collection de livres français. Ont-ils même des livres haïtiens ?
Cet appartement de l’Avenue Beech est certainement mieux que celui de l’Avenue Ash. L’immeuble en tout cas est en meilleur état. Je me dis que je peux avoir du monde à diner et qu’ils n’auront pas peur de prendre l’ascenseur…
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Je suis allée visiter le troisième étage de la bibliothèque où ils ont une collection internationale. J’ai pu examiner des livres français et constater qu’ils n’ont aucun livre haïtien. J’ai emprunté : « A la Recherche d’une Patrie », une biographie d’Aimé Césaire, l’écrivain Martiniquais, écrite par Georges Ngal. Je ne connaissais pas ce dernier. On le décrit comme romancier, essayiste et critique littéraire. Il a publié entre autres, Le Vol du Discours Africain, L’Errance et Césaire. Il rapporte que Césaire avait écrit un livre sur Toussaint Louverture et un autre sur notre roi Henri Christophe. Et aussi le fameux Cahier du Retour au Pays Natal, et, Et Les Chiens se Taisaient. Il fait partie du mouvement de la Négritude et de l’Ecole Surréaliste et a été influencé par Rimbaud et Lautréamont, Aragon et Breton… L’auteur écrit que « son écriture est scandée comme le jazz et le tam tam ».
« Cependant », écrit Ngal, « la source principale de Césaire reste l’expérience collective du Nègre dans le temps et dans l’espace – histoire et diaspora nègres – la situation concrète du Nègre de la Martinique, les lynchages du Mississipi, les traquages des esclaves dans les savanes et forêts de l’Afrique…je parle de millions d’hommes, écrit Césaire, à qui on a savamment inculqué la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. »

Senghor, Césaire, Damas, Price-Mars, Jacques Roumain, Langston Hugues etc. quelle époque que ces années de la Négritude !

Et en dépit du fait que je sois réduite à écrire sur l’incendie à Ash Avenue, je ne peux m’empêcher de demander si nous sommes condamnés à faire de la littérature sur les souffrances de l’homme noir et ses luttes de libération.

Posted May 25, 2011 by maryseroumain7 in Uncategorized

L’INCENDIE A L’AVENUE DES CENDRES – SUITE   Leave a comment

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Mon neveu doit venir chez moi sous peu pour m’aider à chercher un appartement sur le Net.
En effet, je n’ai plus envie de rester dans l’immeuble incendié. Et moi qui rêvais d’arranger un peu mieux mon logement avec de nouveaux rideaux pour le salon, des carreaux neufs pour la cuisine ; moi qui voulais changer le linoleum de la salle de bains et y mettre un beau tapis et je me disais qu’un lit changerait tout à fait l’apparence de la chambre pour le mieux. Adieu veau, vache, cochon, couvée comme on dit dans la fable. De toute façon, mon salaire à la bibliothèque ne m’aurait pas permis toutes ces extravagances.
Je me demande si je pourrai jamais recommencer à danser au salon sur l’air des chansons de Gracia Delva, de Coupé Cloué et du saxophone de Mamina. Au moins, je me suis en tout cas remise à écouter de la bonne musique sur le petit appareil de mon fils. Ce matin j’ai mis le CD de Strings et mon très cher Cesaria Evora. Plus tard, je pourrai mettre celui d’Edy Brisseaux accompagné de sa trompette même si ce n’est pas la saison de Noël.
Chez ma fille, à East Village, nous avons été Claude et moi, avant son départ, prendre du soleil sur le parc au coin de la rue. Le monde de Tompkins Square Park est plutôt bizarre et on dirait désarticulé. Tout en observant, nous eûmes une petite conversation :
« Les gens viennent-ils tous du quartier, me dit-il, « ils n’ont pas l’air d’avoir des rapports les uns avec les autres… »
« Ou, seraient-ils, comme nous, des gens de passage ? »
A l’autre bout du parc, des porto-ricains battaient du tambour. J’ai reconnu des rythmes africains. Sur le chemin du retour, nous nous sommes arrêtés chez le marchand de légumes pour acheter des asperges et des petites pommes de terre roses pour le souper. Chez le marchand de vin, nous nous sommes procuré un cru sud-africain. Dans la soirée, je me suis fait du thé de camomille glacé pour calmer mon anxiété provoquée, en partie, par l’incendie à l’avenue Ash. Ce n’est pas un traumatisme, il s’agit plutôt d’un choc dont l’effet est moindre mais réel.
Je me dis que, de toute façon, j’aimais mon appartement mais pas l’immeuble qui n’est pas dans le meilleur état. Autant chercher un autre appartement dans un autre immeuble. Le loyer allait augmenter de 5% en effet. Je pourrais alors recommencer à rêver à de nouveaux rideaux et à un lit qui relèverait le « paysage » de la chambre.
Mon Manès Descollines et mon Garibaldi sont abandonnés dans un coin de l’apart. J’espère que j’aurai un jour assez d’enthousiasme pour les accrocher ; ils ont plutôt l’air d’être prêts à être emballés pour sortir d’ici.

(4)
Nous sommes à la fin du mois de Mai. Ce sera bientôt l’été et ses chaleurs. Pas de canicule cette année, j’espère. Je m’en porte plutôt mal.
Ne pouvant me déplacer que sur les talons, j’ai passé deux semaines chez ma sœur Marie à Philadelphie. J’étais d’ailleurs un peu secouée par « l’événement » qui s’était déroulé à l’avenue Ash le 5 mai dernier, vers sept heures trente dans la soirée. Cet événement qui provoqua mon transport en ambulance dans un hôpital du Bronx, heureusement pour deux jours seulement. Je m’y réfère sans le nommer pour conjurer le mauvais sort.
Je n’oublierai jamais les détails de ce moment. Alors que j’étais au téléphone avec mon ami Ray, je pouvais voir en regardant vers la fenêtre de ma chambre qui donne sur la rue, une épaisse fumée noire qui s’élevait jusqu’au cinquième étage. Il s’agissait bien d’un incendie car les gens s’étaient regroupés en face de mon immeuble, leurs regards dirigés vers le deuxième étage. Mon appartement était au cinquième. Pas encore paniquée, je compose le 911 :
« Il y a le feu dans mon immeuble »
« Quelle est votre adresse : »
« J’habite l’avenue Ash ; les pompiers sont là. »
« Attendez un moment ; nous allons nous enquérir de ce qui se passe.»
Silence. Puis :
« Nous sommes désolés, mais le feu a éclaté à l’appartement 2B. Il n’y a pas moyen de vous rejoindre. Il faudra attendre que le feu soit éteint. »
« You have to do something. You can’t let me die here”, I scream.
Je fais plusieurs tentatives de sortie par l’escalier de secours, mais les flammes font un barrage en sortant par la fenêtre de l’appartement 2 B et les spectateurs me font signe de retourner chez moi.
Pas moyen de sortir par la porte d’entrée non plus. Une fumée épaisse a envahi les couloirs.
Finalement, quand le feu fut éteint, j’enlève mes sneakers, je ne sais trop pourquoi et sors de l’immeuble par l’escalier de secours, les pieds nus. C’est en arrivant au niveau du deuxième étage que mes pieds se sont brûlés. Je descends l’escalier en courant et en criant :
« I am burned ! I am burned ! »

(A SUIVRE)

Posted May 19, 2011 by maryseroumain7 in Uncategorized

RECIT: L’INCENDIE A L’AVENUE DES CENDRES   Leave a comment

L’Incendie à l’Avenue des Cendres
Par
Maryse Noël Roumain
(1)
C’est en rentrant chez moi trois semaines après l’incendie, que je pus constater les dégâts.
Avant même de pénétrer dans l’appartement, je me rendis compte que les pompiers avaient dû défoncer la porte pour voir s’il n’y avait personne à l’intérieur et vérifier la quantité de fumée qui s’y était propagée. Depuis lors, elle n’a pas été réparée et ne fermait pas bien. Serais-je réduite à dormir dans de telles conditions ? L’unique chambre à coucher sentait encore la fumée en dépit du fait que mon fils et son amie l’aient tant bien que mal nettoyée d’une suie noire en frottant les murs à l’eau de javel.
Je ne me sentais pas en sécurité dans l’appartement. En effet, on ne nous avait encore rien communiqué sur la cause de l’incendie qui a éclaté deux étages plus bas. Comment saurais-je qu’il n’en éclatera pas un autre ? Paranoïa, me direz-vous, peut-être…
J’essaie de me consoler en me disant que les dégâts et le choc auraient pu être pires. J’aurais pu avoir perdu toutes mes affaires par exemple, ou, comme certains autres locataires, respiré de la fumée jusqu’à l’intoxication.
Je me déplace avec difficulté depuis que j’ai marché sur mes pieds brûlés. Je constate que les deux tableaux qui m’avaient été rapportés d’Haïti sont là sains et saufs. Il s’agit de baigneuses du peintre Manès Descollines et d’un Garibaldi, un peintre haïtien inconnu, genre plutôt abstrait…On dirait des guitares déformées …
Nous sommes censés aller danser dans le quartier de Jamaica Estates où habite une de mes sœurs, mais mes pauvres pieds brûlés pourront-ils supporter mon poids ? La blessure n’est pas encore tout à fait guérie…
J’ai passé en effet deux jours à l’hôpital Jacobi de Manhattan pour y traiter de brûlures au second degré à la plante des pieds.

2
Le 25 mai, vingt jours après l’incendie, j’écris une lettre à ma sœur pour la remercier de m’avoir si généreusement et si spontanément accordé son hospitalité dans sa maison de Philadelphie.
J’étais en effet incapable de me tenir debout ou de marcher et j’allais en somme me retrouver toute seule dans une maison en bien mauvais état quand mon fils, serait parti travailler. Mon mari, lui, a pris l’avion ce matin pour Port-au-Prince où la situation politique est encore plus chaotique qu’avant son départ. On compte en effet selon les nouvelles lues sur le Net plusieurs morts et blessés dans le camp de la police et parmi la population civile. Tout cela pour empêcher les élections qui doivent être organisées à la fin de l’année. Que se passera-t-il si elles n’ont pas lieu ? Sera-ce une mise sous tutelle totale du pays déjà considérablement engagé dans la voie du protectorat et de la dépendance ?
Les partis politiques se démènent comme ils le peuvent, organisant des congrès, faisant des alliances, renforçant leurs bases à travers les dix départements géographiques du pays. Il y a là, me semble-t-il, une volonté réelle d’aboutir à un régime pluraliste dans notre pays et à une entente entre les différents protagonistes devant aboutir à la stabilité politique et à la mise en œuvre d’un programme de développement économique. Mais, c’est compter sans les « chimères lavalas » qui veulent…quoi au juste, mis à part le retour de leur leader déchu ?
Le soir, j’ai fait des « ribs » de porc, du riz aux petits pois, des carottes cuites à l’eau légèrement salée. On est loin du poulet à l’ail, des sardes roses et de la salade de choux rouge, arrosés d’une bonne bouteille de rosé, que j’ai eus chez ma sœur.

Posted May 7, 2011 by maryseroumain7 in Uncategorized